«J’aide les Roche de demain»

25.09.2014

ANDRÉ HOFFMANN L’actionnaire et arrière-petit-fils du fondateur de Roche parle de ses engagements au profit des start-up. Texte: Pascal Ihle.

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André Hoffmann
Vous siégez aux conseils d’administration de Roche et de Givaudan, vous vous engagez en faveur de la protection de l’environnement et de la musique. Et les startup, dans tout ça?
Nous avons une longue tradition familiale. En 1896, mon arrière-grand-père Fritz Hoffmann-La Roche avait lui aussi fondé Roche à la manière d’une start-up, il ne faut jamais l’oublier. Je me rattache à cette tradition et j’aime beaucoup soutenir de jeunes entrepreneurs.

Cela ne vous tenterait pas d’être vous-même le fondateur d’une start-up?
J’ai fondé une start-up lorsque je travaillais chez Nestlé en Grande-Bretagne. Je voulais recycler des bouteilles de vin, ce qui n’était alors pas encore d’usage en Grande-Bretagne. Le problème est que les Britanniques boivent du vin dans des bouteilles vertes et exportent le whisky dans des bouteilles blanches. Comme il n’y avait pas de niche de marché, mon projet a rapidement échoué.

Avez-vous été découragé par cet échec?
Pas du tout. Après ma période chez Nestlé, j’ai étudié à l’Insead, l’Institut européen d’administration d’affaires. Avec des amis, j’ai fondé trois start-up, dont une a bien marché. Elle s’appelait New Convent Garden Soup Company et vendait des soupes fraîches dans des briques de carton. A l’époque, ça n’existait pas, on ne trouvait que les soupes en sachet.

Une idée géniale. De nos jours on trouve des soupes en briques partout.
Je dis toujours que ce qui est décisif pour une start-up n’est pas l’idée - ça, il y en a pléthore - mais l’aptitude à mettre en oeuvre cette idée.

Qu’est-ce que votre arrière-grand-père a fait juste en fondant Roche?
Il a compris qu’il y avait une niche de marché pour l’industrialisation et la standardisation de produits pharma. A l’époque, les pharmaciens préparaient eux-mêmes leurs poudres et pommades. Ce que mon arrière-grand-père a su faire de façon remarquable, c’est comprendre les clients et les patients et répondre à leurs vrais besoins. Une idée, si exceptionnelle soit elle, ne rapporte pas grand-chose en soi. Il faut qu’elle soit adaptée au marché.

Ne sous-estimez-vous pas un peu l’idée?
Mon arrière-grand-père fut le premier en Suisse à industrialiser la production de médicaments. L’idée n’était certes pas neuve. De tels concepts existaient déjà en Allemagne, en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis. Mais il l’a mieux fait que ses concurrents.

Qu'est-ce qui vous fascine dans les jeunes entreprises?
Mes enfants répondraient: pas besoin d’étudier dans des universités, il suffit d’avoir une idée comme Steve Jobs. En tant que jeune entrepreneur, il faut montrer une certaine arrogance. Il faut être convaincu d’avoir une solution géniale à un problème donné. Steve Jobs était persuadé qu’il fallait un iPhone. Une entreprise qui entend mettre sur le marché un nouveau produit ne doit pas s’en remettre uniquement aux études de marché. Il lui faut bien plus, être absolument convaincu par son produit et c’est pourquoi il faut aussi une certaine portion d’arrogance.

La Suisse est-elle un terreau fertile pour les start-up?
Une des grandes questions qui me préoccupent est la gestion des ressources naturelles. Dans le domaine technologique de la durabilité et la gestion plus précautionneuse, moins polluante des ressources, la Suisse a beaucoup à apporter. Je suis membre de l’association Swisscleantech qui tente de trouver de nouvelles solutions technologiques, plus efficaces, en matière d’énergie.

Qu’est-ce que cela comporte comme avantages pour la Suisse? 
Nous sommes un petit pays, mais avons un niveau technologique élevé et d’excellentes universités. Nous avons décidé de renoncer prochainement à l’énergie nucléaire et de miser sur de nouvelles technologies.

Quand on observe le paysage des start-up en Suisse, on voit l’Arc lémanique autour de l’EPFL, le Grand Zurich autour de l’EPFZ et l’industrie pharmaceutique autour de l’Université de Bâle. D’excellentes universités sont-elles un préalable indispensable pour un cluster de start-up?
Des universités ne font sûrement pas de mal. Quand on examine l’histoire de l’économie, on voit que la proximité entre une entreprise et un bon institut de recherche est clairement un atout. Mais ce n’est pas suffisant. Il faut des gens qui soient prêts à assumer des risques.

Vous évoquez la disposition au risque. Cette caractéristique est-elle suffisamment répandue parmi les jeunes Suisses?
Aux Etats-Unis, un échec passe pour une expérience importante. En Suisse, alors qu’on aime expérimenter de nouvelles technologies, on n’apprécie pas du tout les échecs. C’est un paradoxe. On le constate au fait qu’ici nous accumulons de beaux succès dans le domaine des biosciences et beaucoup moins dans celui des réseaux sociaux.

Ni dans les IT. L’IBM Research Center et le centre de recherche Google ont été créés en Suisse, le langage de programmation Pascal a été développé à l’EPFZ et le World Wide Web est né au CERN. Cela n’a guère suscité de grandes percées entrepreneuriales. Pourquoi?
Je partage votre point de vue. Prenez les Big Data. La grande question est: qu’est-ce que je peux tirer de l’immense masse de données concernant de nouvelles connaissances et de nouveaux projets d’affaires pour l’avenir? En Suisse, ce mode de pensée n’est hélas pas très courant. C’est peut-être une explication.

Malgré toutes nos remarquables universités et grands groupes multinationaux?
Il ne faut pas penser que suisse. Voyez les étudiants et les enseignants de nos universités et les grands talents qui travaillent au sein des multinationales. Ils proviennent du monde entier. La Suisse les attire de par son niveau de formation très élevé et aussi parce qu’ils veulent démarrer et construire une carrière ici. Nous en profitons énormément.

Quelles différences y a-t-il entre l’Europe, les Etats-Unis et l’Inde? 
La disposition au risque est déterminante – et le confort l’est aussi. En Suisse, nous avons la chance incroyable de pouvoir faire les choses confortablement. Selon moi, il n’existe pas de différences culturelles. C’est plutôt un hasard si les bonnes personnes se rencontrent au bon moment au bon endroit. Cela peut se produire n’importe où sur la planète.

Quel rôle jouent la formation et les conditions- cadres politiques?
Il faut un certain degré d’administration et de régulation, mais pas trop. Les Anglo-Saxons parlent à juste titre d’une ligne rouge qu’il s’agit de ne pas franchir, car cela paralyserait l’initiative entrepreneuriale. Et la réussite entrepreneuriale doit être socialement acceptée, ce qui est le cas en Suisse.

L’Etat doit-il jouer un rôle plus important pour appuyer les start-up?
Quand l’Etat accorde trop de moyens, le danger est grand que les bonnes start-up ne soient pas les seules à être soutenues. Il faut une méritocratie. Or, la meilleure méritocratie, c’est le marché. Si tout un chacun qui veut fonder une entreprise était soutenu par l’Etat, les mauvaises idées seraient aussi encouragées. Ça ne va pas dans le sens d’une économie saine. Les principales conditions-cadres étatiques sont l’indépendance et la stabilité.

Il y a un débat en Suisse sur l’opportunité de consacrer les fonds des caisses de pension au soutien des start-up.
Je ne crois pas que ce soit une bonne idée. Dans chaque système, les bons entrepreneurs sont au sommet et dénichent le capital nécessaire. Je tiens pour une forme intelligente de philanthropie que, pour élaborer leur business plan et développer une idée, de jeunes entrepreneurs obtiennent des financements dans le cadre d’un concours. C’est pourquoi je m’engage aussi chez venture kick.

Qu’êtes-vous réellement: un manager, un entrepreneur ou un philanthrope?
J’ai une vie incroyablement privilégiée et j’en suis parfaitement conscient. Je pense souvent à mon arrière-grand-père qui a fondé une petite start-up devenue un groupe mondial. S’il existe une opportunité de faire d’une start-up d’aujourd’hui le Roche de demain, nous devons y contribuer. J’ai cette possibilité et je l’utilise.

Voyez-vous naître en Suisse de semblables start-up?
Je l’espère. C’est une illusion de croire que les sociétés actuellement cotées en Bourse seront encore là dans trente ou cinquante ans. Il n’existe pas beaucoup d’entreprises qui sachent se renouveler au fil du temps. C’est pourquoi il y aura toujours de nouvelles entreprises. 

Qu’est-ce que Roche a fait pour que la start-up d’alors existe toujours près de cent vingt ans plus tard?
La réflexion et l’action à long terme ont été décisives, de même que la flexibilité avec laquelle l’entreprise a toujours su s’adapter aux conditions-cadres et sa proximité avec le client. Bon nombre de grandes entreprises tendent à s’éloigner du marché et oublient qui et quoi figurent au centre de leurs activités. Et une chose est essentielle: il faut toujours rester modeste.

Vous étiez présent lors de l’annonce du classement des 100 meilleures start-up de Suisse le 17 septembre dernier à Zurich. Quel est votre sentiment sur la sélection 2014?
Je trouve intéressant que beaucoup de ces start-up viennent du domaine des medtech et de la santé en général. En Suisse, les rythmes de travail sont plus appropriés pour l’industrie medtech que les rythmes de travail américains (en particulier, dans la Silicon Valley), qui ont tendance à privilégier les solutions immédiates ou en tout cas, à très court terme. La domiciliation en Suisse est donc un avantage compétitif pour ces start-up, contrairement à ce que tout le monde croit.

Selon vous, quelle est la valeur ajoutée d’un tel classement, en Suisse et à l’étranger?
Donner la possibilité aux entrepreneurs de monter sur une scène et de présenter leur entreprise, même pendant quelques minutes, ne peut être que bénéfique. C’est un bon moyen de se comparer aux autres et de se mettre en avant.

Crédits: "Start-up", hors-série commun à PME Magazine et Handelszeitung.
Propos des deux dernières questions recueillis par Lara Rossi, IFJ.


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